Nouvelle écrite par Iliana HAIMEZ, Anae MOREAU, Ye Eun PARK et Hazel RAUGUST
sur le thème « La justice internationale : un outil de lutte contre l’impunité ? »
Le froid me pèse. Pas un seul bruit. Pas un seul murmure. Le monde semble tourner autour de moi ou je tourne autour de ce monde. Je ne comprends plus rien. Mon nom est aussitôt appelé. Encore une fois. Cela faisait des décennies que personne ne m’avait appelé. Il y a vingt ans, on m’appelait souvent « camarade ». Maintenant je suis un sans nom. Oui, même moi, je ne connais pas mon nom. Je m’avance vers ces dizaines de visages inconnus. Des centaines de larmes sur leurs joues pourtant la guerre est terminée. Parmi eux, une tête blonde d’or. Elle ne pleure pas. Mais elle me fixe avec son regard perçant. Elle se lève, elle se met devant moi, de profil. Elle regarde maintenant le président de la cour avec son regard appuyé. Elle commence à raconter ses souvenirs apparemment quand elle avait six ans. Ses yeux bleu clair me disent quelque chose… Ah ! Ça y est ! Tout me revient en mémoire !
J’avais du mal à m’orienter. Le jardin était empli de brouillard. Les voix des hommes qui m’accompagnaient me guidaient à travers les allées. Je sentais mon ventre se tordre alors que l’anxiété me rongeait. Je détestais ces missions. Mes camarades ne semblaient pas affectés par la situation, ils agissaient avec détermination, et leur discipline m’effrayait. Il m’était difficile de rester concentré, mes pensées divaguaient et je n’étais qu’à moitié présent. La perspective de mes actions futures me dégoûtait. J’aurais tant aimé m’arrêter là, faire demi-tour, mais les ordres étaient clairs. Si je partais, les autres m’abattraient. Ils me faisaient passer en tête de file. L’escalier grinçait sous mes pas, ruinant nos chances d’être discrets. Je toquais à la porte. Évidemment, aucune réponse. Je me retournais, on me faisait signe d’entrer. Je tentais d’ouvrir, la porte était fermée. Je forçais le passage et la porte sortit de ses gonds. Un cri se fit entendre dans la maison, me glaçant le sang. Mes oreilles sifflaient. On se divisait la maison, chacun prenait une pièce. Il fallait trouver tous les membres de la famille, les exécuter. Nous avions été formés pour ça, nous ne devions pas laisser place à l’erreur. J’ouvrais une porte, puis une autre. Les pièces semblaient vides. Mes yeux observaient rapidement, je ne m’attardais pas sur les détails. Si je ne trouvais pas l’enfant, ce ne serait pas de ma faute. Je pourrais prétendre qu’elle n’avait jamais été dans la maison à ce moment-là. J’espérais simplement que ni moi, ni les hommes au rez-de-chaussée ne la trouveraient. Le rapport était clair dans sa description. Six ans à peine. Elle ne méritait pas le traitement que nous lui réservions. Elle avait toute la vie devant elle. J’allais ouvrir une dernière porte, mais soudain le même cri que le précédent résonna dans la maisonnée, puis une voix d’homme la suivit, implorant la pitié : « Faites-moi ce que vous voulez, mais par pitié, je vous en supplie, laissez ma femme partir ! « . Ses mots résonnaient dans mon esprit alors qu’on me criait de descendre. Je m’exécutais, les jambes tremblantes. La femme était à terre quand je rentrais dans la pièce. Une seconde plus tard, un de nos hommes lui enlevait la vie. Son mari sauta au cou d’un de mes camarades, par manque de solutions ou par désir de vengeance, je ne sais pas. Je l’attrapais et le mis à terre à son tour. Sa tête frappa le sol avec violence. J’entendis le rire d’un des soldats. J’en étais outré. Mes propres actions m’étaient insupportables ; et ils arrivaient à s’en satisfaire. L’homme se débattait à mes pieds, m’arrachant à mes pensées. Je me ressaisis. Malgré ma réticence, je devais agir. Je ne pouvais pas risquer d’être accusé de trahison ou de lâcheté. Alors j’alignais les réticules, et je pris une grande inspiration. Je bloquai mon souffle, et attendis le moment opportun. Lorsque j’appuyai sur la détente, je fermai les yeux. Je ne voulais pas voir les dégâts que je venais de créer.
Alors que je commettais cet acte, les émotions me montaient à la tête. Ma vue troublée, j’eus le besoin de m’asseoir contre un mur. L’impression que le monde allait s’effondrer, je n’avais d’autres choix que de me relever. Étant un soldat, j’essayai de me convaincre que ma mission devait être ma priorité. Plus de valeur, plus de sentiments, il fallait que je continue. J’entendais un bruit. Alors, je me frayai un passage jusqu’à cette pièce. J’attrapai la poignée et ouvris la porte. C’était une chambre, elle respirait l’innocence. C’était celle de cette gamine, celle qui avait tout perdu à cause de moi. Je percevais des sanglots. Alors, pas à pas, je me déplaçai vers ce bruit qui, je savais, allait me hanter. Sous le lit de cette chambre se trouvait, en face de moi, cette enfant. Un visage qui normalement devait porter un sourire rayonnant était désormais recouvert de larmes. Cette fille qui à cet âge aurait dû être protégée de toute violence était maintenant exposée au cauchemar de la guerre. J’en avais assez fait, je ne pouvais me résoudre à lui donner le même sort qu’à ses parents. Je ne pouvais risquer ni ma vie ni la sienne, je n’avais plus une question à me poser. Je lui fis signe de rester silencieuse, je sortis prudemment de la pièce, refermant la porte derrière moi. Une fois en bas, j’affirmai à mes camarades que l’étage était vide. Ils grommelaient mais ne questionnaient pas mes dires. J’espérais que mon anxiété ne se reflétait pas sur mon visage. Mes camarades avaient pris la décision de partir, abandonnant la fille que je ne reverrai sûrement jamais.
Et pourtant, la voix basse de cette petite fille me ramène au présent, mais elle n’est plus si petite que cela. Son visage rond et doux me regarde. Ses boucles blondes, ses yeux perçants, un bleu glaçant. Je ne l’entends pas. Qu’est-ce qu’elle a dit ? J’ai peur… Son histoire risque d’être pire que la mienne. Remplie de rouge et de cris suppliants, cela me hante encore. Je l’ai laissé s’enfuir par pitié car elle ne méritait pas de mourir. Elle était innocente, elle avait encore de nombreuses années devant elle.
Le président de la cour s’éclaircit la voix.
Les juges avaient auditionné assez de personnes : témoins, victimes, familles …
Je n’avais pas écouté la plupart des récits, je n’avais pas envie de replonger dans mon passé. Ces 56 personnes, mortes, à cause de moi. Je sais que le même sort, à savoir la mort m’aurait été réservée, si je n’avais pas suivi les ordres donnés lors de mes différentes missions. Cependant, je regrette tous les jours d’avoir tué toutes ces personnes. C’est horrible, je suis un meurtrier. Je suis un meurtrier.
La cour a pris sa décision. Je savais que la sentence était imminente.
Le président de la cour frappe son maillet trois fois et prononce ces trois mots fatidiques qui me paralysent de peur : « réclusion à perpétuité ». J’ai peur de l’enfermement, plus que de la mort…