Liberté

Nouvelle écrite par Ellyne Royer du Lycée Victor Considérant de Salins-les-Bains (39)

Thème : « Pouvoir et impunité »

       

         Aujourd’hui est un jour normal. Aujourd’hui est un jour comme les autres.

Elle ouvre les yeux.

            Je ne pense pas que j’arriverai à m’en convaincre.

Elle se redresse.

            Aujourd’hui n’est pas un jour normal. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres.

Elle respire lentement.

            Je n’ai pas peur.

Je ne sais pas quand j’ai arrêté d’avoir peur. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. La peur est un sentiment humain.

Elle se laisse tomber en arrière.

            En fait j’ai arrêté d’être humaine depuis longtemps. Si je ne l’avais pas fait, je ne pense pas que j’aurais survécu.

             Elle ferme les yeux.

             Pourrais-je redevenir humaine? Oui … Si je ne vivais pas dans ce monde pourri. Si on me le permettait.

Et maintenant c’est trop tard. Maintenant, je n’ai plus peur. Je n’ai même pas peur de mourir.

Le gardien ouvre la porte de sa cellule.

            Comment peut-on travailler volontairement pour ce gouvernement? Qui voudrait travailler pour ces gens?

Pas moi en tous cas.

Il lui fait signe de sortir.

            Je vais en mourir.

Je n’ai pas pu me soumettre à leur volonté. J’ai refusé le conformisme qu’ils imposent. Je ne suis pas comme tous ces gens qui n’osent pas agir.

Deux hommes entrent dans la cellule.

            Moi j’ai osé. Moi, j’ai eu le cran de faire quelque chose. J’ai eu le courage de me battre. Contre l’oppression. Contre l’injustice. Pour la liberté.

Ils la saisissent.

            Je voulais être libre. Je voulais rendre le monde meilleur. Je voulais … Tellement de choses…

Mais je ne voulais pas mourir. Je ne veux pas mourir.

Elle ne se débat pas quand ils la poussent dans le couloir sombre.

             Malgré tout, je suis prête à donner ma vie pour mes idées.

Je savais ce qui allait m’arriver si je me faisais prendre. Mais j’espérais voir le monde nouveau auquel j’avais contribué. J’espérais redevenir humaine.

J’espérais mourir dans un monde où la mort n’est pas une délivrance.

J’espérais beaucoup. Désormais il ne me reste que ça. L’espoir. C’est ce qui m’a donné la force de me battre. Je suis prête à mourir pour cet espoir.

 

Ils la poussent vers une porte.

 

            Et ce n’est pas comme si je ne méritais pas ce qui m’arrive aujourd’hui. Ce n’est pas le verdict qui est injuste. Je ne suis pas une innocente victime. Je suis une victime, oui, mais je ne suis pas innocente. Pour arriver à mes fins j’ai volé, j’ai blessé … J’ai tué. Je ne suis pas un ange.

La lumière l’éblouit quand le gardien ouvre la porte.

            Non, ce qui est injuste, c’est que tous ceux qui participent à la construction de ce monde pourri, tous ceux qui font partie de ce gouvernement odieux ne partagent pas le même sort que moi. Eux aussi ont tué. Eux aussi ont fait souffrir. Eux aussi sont des monstres.

Ma méthode était de combattre le mal par le mal. Je suis devenue un monstre.

Elle observe la cour de l’autre côté de la porte. Son regard se pose sur le public regroupé devant l’échafaud.

            Je les hais. Je hais l’insignifiance qu’ils donnent à ma mort.

Le silence s’installe dans la cour.

            C’est ma mort. Ils n’ont pas le droit de la rendre publique.

C’est mon choix, de mourir pour mes idées. Ils n’ont pas le droit de rendre cela dérisoire.

Ma vie vaut la peine d’être sacrifiée pour la liberté.

             Elle franchit le seuil de la porte.

             Je suis fière de mourir au nom de la liberté.

Même si je meurs, ils ne gagneront pas. D’autres survivront. Même si je meurs, ils finiront par tomber sous la pression de tous ces autres qui comme moi ont soif de liberté.

Je meurs pour l’espoir, mais l’espoir ne meurt pas avec moi.

Elle lève la tête.

            Je veux voir le ciel une dernière fois.

Un des gardes lui met une cagoule.

            Je n’ai pas eu le temps. Je n’ai pas pu revoir le ciel.

Des hommes la guident jusqu’à l’échafaud. Son pied bute sur la première marche. Elle tombe à genoux. L’homme derrière elle la relève. Elle se remet en marche.

            Un pied devant l’autre. Pied droit. Inspirer. Pied gauche. Expirer.

Elle arrive au milieu de l’échafaud.

            Inspirer. 

Les gardes la lâchent.

            Expirer.

Un homme énonce les crimes qu’elle a commis.

            Personne ne dit mon nom.

Pour eux non plus, je ne suis pas humaine.

Un garde lui passe la corde autour du cou.

            Je sens la corde rugueuse sur mon cou. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale.

Les secondes défilent.

            J’ai l’impression que le temps ralentit.

Un.

Une goutte de pluie tombe sur le sol de terre battue.

            Une larme coule sur ma joue.

Deux.

Le bourreau s’avance.

            Ils ont bien fait de me mettre cette cagoule.

Ils auraient pu croire que ce qui coulait sur mon

visage était une larme de tristesse. Ou de peur.

Trois.

Il gravit les marches de l’échafaud.

            Je ne suis pas triste. Je n’ai pas peur.

Quatre.

L’exécuteur pose sa main sur la manette actionnant

l’ouverture de la trappe.

            Je ne regrette rien.

Je pleure parce que j’ai réussi.

Cinq.

Un éclair fend le ciel en deux.

             Je pense que je suis libre en décidant

de ne pas être triste, de ne pas avoir peur.

Je suis libre de penser et de mourir pour mes pensées.

Six.

Quelqu’un se lève dans la salle,

brandissant son poing vers le ciel.

             J’étais libre de choisir cette voie et

de la suivre jusqu’au bout.

    Je suis libre à en mourir.     

Sept.

Des gardes saisissent le rebelle et l’entraînent à l’écart.

             Ils m’ont empêchée de vivre libre.

Huit.

Le calme revient dans la cour.

On n’entend plus que les gouttes de pluie

qui tombent sur l’échafaud.

Mais j’ai réussi.

Neuf.

La trappe s’ouvre.

 J’ai réussi!

Dix.

        Je meurs libre.    

 

Prisonnier n°13666, condamné à mort pour trahison et meurtre.

Affaire classée.